Interview Peter Landschützer

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Peter Landschützer (Institut Max-Planck de météorologie) : étude des échanges de CO2 entre l’océan et l’atmosphère.

Iodysséus - Pouvez-vous vous présenter ainsi que l’institut Max Planck?

Peter Landschützer – Je m’appelle Peter Landschützer et je suis à la tête d’un groupe de recherche à l’institut Max Planck de météorologie au département de l’océan dans le système planétaire.

Les sujets d’études de mon groupe sont l’observation, l’analyse et la synthèse de data. Je me concentre plus spécifiquement sur le dioxyde de carbone dans l’océan et la mesure de son absorption depuis l’atmosphère.

Iodysséus - Quels types de paramètres physiques sont utiles à votre recherche ?

Peter LandschützerJe travaille sur les échanges de dioxyde de carbone (CO2) entre l’océan et l’atmosphère. Je m’intéresse aux observations de l’eau de surface de l’océan. Ces observations sont réalisées par des bateaux d’opportunités, des voiliers comme Iodysséus, des cargos, des bateaux de recherches…
Le paramètre de l’eau de surface le plus important est la pression partielle du CO2 (notée pCO2) parce que le flux gazeux air-océan est directement proportionnel à la différence de pression partielle entre ces deux milieux. L’atmosphère est clairement un milieu plus facile à étudier car le CO2 y est distribué de manière homogène. Mais dans l’océan c’est différent, ce milieu n’est pas homogène mais plutôt séparé en plusieurs zones qui ont des caractéristiques biogéophysiques différentes (biologie, circulation des courants…).
Mesurer la pression partielle de CO2 dans l’océan est un réel défi avec de grands enjeux, car si on parvient à la déterminer, on peut extrapoler le flux de CO2 de l’air vers l’océan (soit la quantité de CO2 que l’océan pompe). 

pCO2surface
Carte mondiale de la pression partielle du CO2 dans les eaux de surfaces océaniques / P. Landschützer, N. Gruber, D.C.E. Bakker and U. Schuster

Pouvez-vous citer un exemple de paramètre biologique que vous utilisez ?

Vue par satellite

Peter LandschützerLe principal paramètre biologique est le taux de chlorophylle-a qui peut être mesuré très simplement par observations satellites. La chlorophylle est le pigment synthétisé par les plantes et par le phytoplancton. Concrètement, c’est une mesure de la couleur verte de l’océan qui donne par extrapolation le taux de chlorophylle-a.

Iodysséus - Comment avez-vous accès aux données ?

Peter Landschützer – Je suis très intéressé par l’océan dans sa globalité donc je vise à utiliser toutes les donnés mondiales disponibles en libre accès: il existe des bases de données qui collectent toutes les mesures, réalisent des contrôles qualités, et les rendent publiques.

Je m’appuie également sur cette nouvelle océanographie à la voile à bord des voiliers de courses au large tel que Malizia ou Iodysséus, ce sont de véritables opportunités pour le monde scientifique. La valeur ajoutée d‘un programme tel que Iodysséus est que vous ciblez des zones biologiques océaniques de haute mer. Vos navigations sur le bloom (l’efflorescence de plancton) ont permis d’observer la baisse du CO2 due au développement du phytoplancton (plancton végétal). C’est très intéressant pour la compréhension du processus de captation de CO2 par le phytoplancton, ceci afin de  comprendre dans quelle mesure les blooms renforce l’absorption de CO2. Emiliania Huxleyi est une espèce de phytoplancton qui a un fort impact sur le cycle du carbone: ce petit coccolithophore pompe beaucoup de CO2 pour la synthèse de sa structure en carbonate, donc la pression partielle de CO2 dans cette zone de bloom chute.

Iodysséus -A partir de quel date commence votre étude ?

Peter Landschützer – Mon objectif n’est pas de réaliser des prédictions mais je me concentre sur l’état actuel de l’océan. Donc si on considère les variations du flux de CO2, je considère la période après 1982, c’est à partir de cette date que les satellites ont commencé à fonctionner.

Les mesures que j’ai analysées sont précieuses car elles retrace l’évolution du cycle du carbone depuis les 35 dernières années.

Iodysséus - Quelles sont les caractéristiques du système embarqué Ocean Pack ?

Peter Landschützer – L‘appareil à bord pompe en continu l’eau de surface et mesure les différents paramètres: température, salinité, dioxygène dissout (taux d’ O2 dans l’eau), taux de chlorophylle-a, et pression partielle du CO2 (pCO2).

*Photos réalisées à bord - © Iodysséus

Cet appareil a été développé et adapté pour les voiliers de courses, il est compact, peu énergivore et relativement léger. Un de ses avantages est qu’il peut également fonctionner à des vitesses élevées au-dessus de 15 nœuds. C’est un outil qui démontre que l’océanographie moderne évolue vers des modèles plus souples.

Iodysséus - Pouvez-vous rapeler comment le CO2 est lié à l’acidité de l’océan (pH) ?

Peter Landschützer – Le CO2 se dissout dans l’eau de mer et se transforme en acide carbonique (c’est le même processus que pour l’eau gazeuse). Cet acide carbonique se change à son tour en ion bicarbonate (HCO3) et ion carbonate (CO32−). Lors de cette réaction chimique, des ions hydrogènes sont relâchés (ions H+ qui sont responsables de l’acidité). Pour résumer, plus le dioxyde de carbone passe dans l’océan et plus l’océan devient acide (plus le pH diminue).

Iodysséus - Pourquoi cette acidification représente un danger pour la vie marine ?

Peter Landschützer – L’océan a un pH moyen autour de 8. Quand le pH diminue (c’est à dire que l’acidité augmente), les organismes à coquille ou à structure calcaire comme les coraux ou certaines espèces planctoniques (dont les coccolithophores) sont considérablement affectés. Ces organismes ne sont plus capables de synthétiser leur structure dans un environnement trop acide.  Le plancton est à la base de la chaine alimentaire, il constitue le premier maillon avant les poissons et les mammifères marins. Une modification de sa biodiversité ou de sa répartition dans les écosystèmes entraine des conséquences sur l’ensemble de la chaine alimentaire marine.

Il faut bien comprendre que c’est un équilibre chimique, si l’acidité de l’océan dépasse un certain seuil, les coquilles de ces organismes sont détériorées et il n’y a pas de retour possible.

Réaction chimique: dissolution du CO2 menant à l’acidifcation de l’océan

Iodysséus - Pouvez-vous déjà observer les effets du changement climatique ? Quelle tendance constatez-vous sur les dernières décennies ?

Peter Landschützer – De nos jours la cause et les effets désastreux de l’acidification de l’océan sont prouvés. La mauvaise nouvelle révélée par mes travaux sur les 35 dernières années, c’est que l’océan accumule de plus en plus de CO2. D’autres recherches aboutissent au même résultat : la concentration de CO2 dans l’océan augmente, et donc il s’acidifie. C’était un phénomène auquel on s’attendait en sachant que la concentration atmosphérique de CO2 est en constante augmentation.

Iodysséus - Le printemps dernier Iodysséus a collecté des données dans le golfe de Gascogne et jusqu'en mer Celtique. Utilisez-vous des données venant d'autres endroits sur la Terre ?

Peter Landschützer – Je travaille avec des mesures provenant de partout autour du monde, mesures qui sont réalisées par différents types de bateaux (cargo, navires de recherches, voiliers…).

La majorité des mesures proviennent de l’hémisphère Nord car c’est là qu’il y a la plupart des routes commerciales. Ce qui est bien avec les données de Iodysséus c’est que les zones de navigation se concentrent sur des phénomènes biologiques, là où la pression partielle de CO2 varie beaucoup. Pour pouvoir étudier ces phénomènes, c’est important d’avoir beaucoup de mesures plusieurs fois dans l’année et avec des quadrillages assez serrés.

Cartes des expéditions réalisées par Iodysséus en 2019

Iodysséus - Quel est l'intérêt d'étudier précisément l'interface océan-atmosphère ?

 Peter Landschützer – Mes études contribuent à améliorer les modèles climatiques. Les données mesurées actuellement permettent de valider à postériori les anciens modèles. C’est pertinent de vérifier un modèle en testant si les prédictions passées se sont réalisées.

Comment est absorbé le CO2
Le milieu atmosphérique est en constante interaction avec le milieu océanique. Pour étudier et comprendre un système dans sa globalité, il faut aussi analyser les flux et échanges d’un milieu à l’autre. Le climat ne concerne pas seulement le milieu atmosphérique, mais aussi le milieu océanique.

Les données collectées vont également aider à établir de nouvelles prédictions et projections pour le futur. Un autre intérêt tout aussi important, c’est calculer le taux actuel d’acidification de l’océan. Ce taux peut être calculé à partir de la moyenne des observations globales, ou alors on peut calculer ce taux sur des zones plus restreintes (comme par exemple des zones à haute vulnérabilité). Les mesures réalisées par Iodysséus en 2019 permettent de voir la variabilité saisonnale et le cycle du carbone au cours de l’année. Pendant le printemps, la pression partielle du CO2 diminue pendant les phénomènes d’efflorescences planctoniques car le plancton pompe du CO2 pour son développement. Les études scientifiques révèlent qu’au cours des 35 dernières années, l’amplitude du cycle saisonnale a augmenté également. C’est un phénomène que les modèles avaient prédit en avance, et maintenant on peut voir grâce aux observations actuelles que c’est vraiment en train de se produire.

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Voilier Iodysséus

Iodysséus - Pourquoi les voiliers volontaires représentent un avantage à la place des gros bateaux de recherche?

Peter Landschützer – Je ne dirais pas « à place de », nous avons toujours besoin des bateaux de recherche.

Le mot exacte est « en addition », car l’océan est si grand. Se rendre en mer n’est pas si simple que pour les mesures terrestres, il nous faut des navires de recherche, il nous faut des voiliers. J’aime beaucoup cette comparaison: en Allemagne on a 40 millions de voitures recensées, mais si on regarde les bateaux, il n’y en a seulement que environ 1 million.

La quantité de mesures est minuscule face à l’immensité de l’océan.

Si tous les bateaux sur l’eau faisaient ces mesures, cela permettrait d’avoir beaucoup plus de données et les modèles seraient plus exactes.

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