Des conditions climatiques presque invivables; si rien n’est fait pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, un tiers de l’humanité pourrait vivre, d’ici à cinquante ans, dans des endroits qui seraient aussi chauds que le Sahara aujourd’hui, sortant par-là de la « niche climatique » dans laquelle l’espèce humaine a survécu depuis plus de cinq mille ans.
Claude Obadia . Telles sont les conclusions d’une étude publiée lundi 4 mai dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, qui met en lumière les risques auxquels le monde pourrait être soumis dans les prochaines décennies. Les auteurs de cette étude céderaient-ils à la tentation du catastrophisme qui se nourrit de la crainte d’un effondrement de notre civilisation ? Rien n’est moins sûr tant il est vrai que, si la température moyenne annuelle des régions tempérées n’a guère varié depuis près de six mille ans, l’émission des gaz à effet de serre pourrait bien, selon certaines prévisions, si elle continuait d’augmenter, produire d’ici 2070 une élévation de la température de la planète de 3°C. Les températures moyennes des régions tempérées, de l’ordre de 11°C à 15°C actuellement, pourraient grimper jusqu’à 20°C, ce qui constituerait, c’est certain, une catastrophe climatique majeure dans ses manifestations écologiques, économiques et humanitaires.
Iodysséus - Pouvons-nous aujourd’hui, sinon rêver du meilleur, espérer nous préserver du pire ?
Claude Obadia . Saurons-nous nous convaincre que le monde que nous habitons est un monde dont nous avons hérité, un monde dont il nous incombe de prendre soin comme on prend soin d’un présent qui nous est offert et que nous confierons à ceux qui nous sont chers afin qu’à leur tour ils le conservent dans l’avenir ? Professeur de philosophie, je suis souvent frappé par l’aveuglement consumériste qui définit la relation que mes étudiants et mes élèves entretiennent avec leur environnement tant familial que social et naturel. À les écouter, à les observer, on dirait que la majorité d’entre eux se pensent des droits sans s’imaginer aucun devoir. Comme si ce qu’ils possèdent était un dû. Comme si, au nom de la liberté, on n’avait de compte à rendre à personne ! Or, ce consumérisme, qui nous détermine à prendre sans donner, à prélever telle ou telle richesse sans jamais interroger les conséquences de ce prélèvement, nous interdit peut-être de penser l’essentiel : le patrimoine qui fait notre bien commun, l’héritage qui prescrit le devoir de prendre soin de ce qui nous est donné. En un mot, la responsabilité.
Car telle est la question fondamentale, implicitement engagée par les promoteurs du programme Iodysséus. Pourquoi, en effet, une océanographie, et une océanographie éco-compatible, appuyée sur le support « propre » que constitue un voilier, sinon parce que la responsabilité à laquelle nous n’avons plus le droit de déroger nous commande, aujourd’hui, non seulement de prendre soin des océans, mais de travailler à mieux les connaître ? Sans doute cette conviction se nourrit-elle d’abord, chez l’auteur de ces lignes, de sa propre histoire.
Si j’ai rencontré Éric Defert, skipper professionnel et initiateur de ce programme, sur un bateau, je suis né au bord de l’eau, dans un village de méditerranée dont l’unique ressource était la pêche, et j’ai découvert la voile à l’âge où, tout en poursuivant des études de philosophie, j’enseignais le ski alpin.
Iodysséus - Pourquoi cette passion pour la mer ?
Claude Obadia . Platon le dit très bien : « il y a les vivants, il y a les morts, et il y a ceux qui vont sur les mers ». Espace d’engagement, espace de vie, la vraie vie, celle où l’on n’a pas toujours la possibilité de compter, ou de se reposer, sur autrui, la mer est une école dans laquelle j’apprends le courage, la prudence, la contemplation et l’humilité. D’aucuns diront que l’amour de la mer ne fonde pas, à lui seul, la pertinence du programme Iodysséus. Ils n’auront pas forcément tort. Mais n’empêche : les faits sont là, têtus et obstinés! Si nous savons qu’il faut préserver les forêts, ce « poumon de la terre », n’est-il pas grand temps d’apprendre que l’activité des océans est essentielle dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Les raisons en sont déjà connues. L’Océan est un puits de carbone, au même titre que la Forêt. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la mission inaugurale fixée avec le programme Iodysséus a été, en 2019, d’étudier, sur un voilier de course, au large de la Bretagne et en mer d’Irlande, le bloom printanier de l’Atlantique Nord, cette efflorescence de micro-algues. L’Océan absorbe un tiers de nos émissions en dioxyde de carbone et produit 50% de l’oxygène indispensable à la vie.
Parce que nous incombe la responsabilité de transmettre à nos petits enfants (n’oublions pas les conclusions de l’étude évoquée pour ouvrir notre propos) un monde dans lequel ils pourront vivre, préservés des effets dévastateurs du réchauffement climatique, il est impératif que notre époque, par-delà la poursuite légitime de ses intérêts immédiats, se soucie de l’avenir, de son avenir.
Or, le programme Iodysséus, dont il faut, bien sûr, encourager et soutenir la poursuite, présente un intérêt majeur dans la lutte contre le dérèglement du climat. N’est-il pas urgent de déterminer comment l’Océan et ses écosystèmes planctoniques limitent le réchauffement de l’atmosphère terrestre ? Et ne l’est-il pas tout autant d’étudier comment les micro-organismes marins peuvent permettent de mettre les biotechnologies au service d’une nouvelle économie durable ? Autant de questions auxquelles il importe, pour demain, de répondre aujourd’hui. Autant de défis que se lance, pour le bien commun, le projet Iodysséus, officiellement reconnu par les Nations Unies comme programme des sciences océaniques au service du développement durable.