« Le plancton, c’est le cosmos dans une goutte d’eau de mer »

Noé Sardet, cinéaste et "macronaute" a plongé sa caméra dans l'univers de son père, le scientifique Christian Sardet.

Noé Sardet, cinéaste et « macronaute »

« La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le côté mystérieux de la vie. C’est le sentiment profond qui se trouve au berceau de l’art et de la science véritable », affirmait Albert Einsten. Ce sentiment, le scientifique Christian Sardet et son fils Noé, réalisateur, l’ont mis en image dans leurs « Chroniques du plancton » en nous révélant dans toute leur splendeur d’incroyables créatures microscopiques aux origines du vivant et dont dépend tout ce qui vit et respire sur la planète Terre. La beauté et l’émerveillement sont, sans doute, les meilleures clés de l’infiniment petit que composent les écosystèmes planctoniques marins. Démonstration au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris avec un voyage intergalactique dans une goutte d’eau de mer : la dernière œuvre de Parafilms, la société de Noé Sardet et des macronautes, ces explorateurs d’un cosmos miniature.
Noé Sardet a hérité de sa mère cinéaste tout en plongeant sa caméra dans l’univers scientifique de son père Christian, fondateur du laboratoire de biologie cellulaire marine du CNRS et « pilier » de Tara Océan. Il a installé à Montréal, Québec, la société Parafilms, créée avec son ami et associé Sharif Mishak, à proximité des joyaux de nature offerts par le Golfe du Saint-Laurent. Ses eaux, entre l’archipel des Mingan et Anticosti, forment un théâtre idéal pour tenter de jeter un pont entre les deux infinis – le plancton et le cosmos, l’océanographie et l’astronomie – grâce à l’art et la poésie, à travers des expéditions placées sous le signe du « Plancton cosmique ». Une voie pour questionner et recentrer la place de l’homme dans l’univers : il en est plus que temps.

Iodysséus - En 2019, le plancton joue la carte de la séduction à Paris, avec une double actualité : au Muséum National d’Histoire Naturelle du Jardin des Plantes et à la Fondation Good Planet du Domaine de Longchamp. Au MNHN, le visiteur est invité à une « plongée insolite ». Comment ça  ? Racontez-nous pour ceux qui rateraient l’expérience... ?

Noé Sardet – Le visiteur va avoir la sensation d’évoluer dans une goutte d’eau, à la même échelle que le plancton grâce à un film projeté à 360° sur un cyclorama de 7 m de diamètre. Le film coproduit par notre société Parafilms avec le MNHN s’intitule « Le Ballet du plancton », c’est un hymne à la beauté et à la diversité de ces organismes vivants qui peuplent les océans. La projection constitue l’élément central de l’exposition. Elle permet au visiteur de faire une pause contemplative mais qui, on l’espère, peut changer son regard sur cet univers méconnu. On y apprend des choses, comme par exemple que le phytoplancton est à l’origine de la chaîne alimentaire marine, mais aussi de tout ce qui vit et respire sur la terre. Rassurez-vous : pour ceux qui rateraient l’expo, ce film sera distribué dans d’autres lieux en 2020…

 

Iodysséus - Votre père Christian Sardet, chercheur émérite au CNRS, raconte qu’il a découvert la vie planctonique dans une mare, grâce à un microscope offert par son propre grand-père. C’est l’hérédité qui vous a incité à plonger votre caméra dans cet univers ?

Noé Sardet –La transmission a commencé, avec, je crois bien, ce qui est un de mes plus anciens souvenirs. Je devais avoir cinq ans. Nous avons vécu à l’époque en Californie durant un an. Nous sommes sortis mon père et moi en bateau pour aller pêcher des organismes bizarres, tout gélatineux et translucides, mais il ne s’agissait pas de méduses. C’étaient des cnétophores – je me souviens notamment de Beroë ovata. Ils ressemblent a des méduses, sont iridescents, très jolis etfragiles mais dépourvus de cellules urticantes. On les collectait avec un pot de confiture, au bout d’un long bâton qui permettait de les capturer en douceur à la surface. J’ignorais à ce moment là l’intérêt scientifique et génétique de ces cnétophores (qui seraient parmi les plus lointains ancêtres de toutes les espèces animales dont l’humain, NDLR). Mais c’est vrai qu’enfant j’ai beaucoup traîné dans les labos et cela a créé comme un attachement naturel avec cet univers de la biologie marine. Pour autant, mon père ne s’est intéressé à la  diversité du plancton que très tard dans sa carrière de chercheur…

Iodysséus - Pourtant votre père est bien l’auteur d’ouvrages de référence dont « Plancton, aux origines du vivant » (Ulmer, éditions) qui est par ailleurs la Bible de l’expédition Iodysséus ?

Noé Sardet – Oui, c’est bien le même. Mais son domaine initial c’est la biologie cellulaire (Christian Sardet est le fondateur du laboratoire de biologie cellulaire marine du CNRS, NDLR). Il n’était donc pas un spécialiste du plancton en soi, même s’ il utilisait quelques organismes planctoniques comme modèles d’expériences, tels par exemple des embryons d’oursins ou les cténophores. C’est à partir de 2009 avec l’expédition Tara Océans, dont il a été co-fondateur, que ça a commencé à changer. Nous étions tous conscients que les données rapportées par Tara allaient être aussi passionnantes pour la science que peu digestes pour le grand public. Les datasets de génétique c’est formidable, mais en terme de communication ça ne te parle pas. C’est alors que Christian s’est interessé a nos nouveaux outils en terme de macrophotographie. On venait de créer Parafilms avec mon ami et associé Sharif Mishak. Christian, lui de son côté, a toujours été très fort en imagerie : c’est logique en biologie cellulaire. La macro ça vient de notre côté. Voilà comment en fusionnant micro et macro est née l’idée de réaliser une série de films – « Les Chroniques du plancton » – en parallèle du projet Tara Océans de manière à rendre visibles ces organismes pour la plupart encore inconnus du grand public, à transmettre de l’émotion à travers leur incroyable beauté. L’émerveillement est une des rares clés d’un univers de l’infiniment petit difficile à appréhender parce qu’il est a priori abstrait. Ensuite, Christian s’est lancé dans le projet de livre. Un long travail de documentation, d’écriture et de photographie.

Iodysséus - Sous votre objectif des radiolaires ou des diatomées, entre autres genres, ressemblent à des bijoux précieux rescapés d’un galion espagnol du Siècle d’or. Il y a truquage  ?

Noé Sardet – Non. C’est la prise de vue et la lumière seules qui jouent. Très tôt nous avons expérimenté la macro-cinématographie en adaptant des caméras haute résolution sur des microscopes dédiés à la recherche. C’est cela qui a donné des images exceptionnelles. Dès le départ, nous avons pris le parti de privilégier des fonds noirs grâce une technique d’éclairage que nous avons peaufinée pour créer une distance avec le fonds. C’est cela qui crée la magie dont vous parlez, cette technique s’appelle le « darkfield ».

Iodysséus - Les incroyables formes et couleurs du plancton sont totalement naturelles ?

Noé Sardet – Absolument. Dans l’eau, tout ce petit monde semble translucide, ou blanchâtre si on l’éclaire dans son milieu naturel, discrétion oblige face aux prédateurs. Le spectre des couleurs diffère sous l’eau de celui de l’atmosphère. Les plongeurs-photographes connaissent bien le phénomène. Il leur suffit de balader leur lampe sur un bout de récif pour assister à une explosion chromatique. Nous faisons la même chose à l’échelle d’une goutte d’eau sous microscope ou sous des lentilles macros. Il nous suffit de la mettre en lumière sous certains angles précis pour faire éclater une colorimétrie fastueuse, fabuleuse, démente. Nous jouons parfois avec la température des lampes mais je vous confirme que les couleurs sont totalement naturelles.

Iodysséus - Finalement vous êtes une sorte de « Cousteau du plancton », dans le sens où le fameux commandant révélait aux terriens Le Monde du silence voilà 70 ans tandis que vous, aujourd’hui, vous mettez en lumière le petit peuple qui en est la base et le pilier. Un Cousteau 3.0. La référence vous convient ?

Noé Sardet – Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai été influencé par Cousteau. Je ne renie pas la référence. Cependant nous avons déjà notre surnom que nous utilisons comme signature pour nos expos, ce surnom c’est : « Les Macronautes ». Cela me paraît plus juste, parce que si certains explorent la jungle, les grands fonds ou la montagne, nous explorons, nous, l’infiniment petit, de l’ordre de quelques microns, nous explorons un monde miniature, microcosmique. Et puis, c’est une signature collective. Elle rappelle que nous sommes, en effet, un collectif et que je ne suis pas seul.

Iodysséus - Vous parvenez à renouveler l’émerveillement dont vous parlez depuis Les Chroniques du plancton  ?

Noé Sardet – Avec les Chroniques nous avons commencé à constituer la base de données que nous alimentons chaque année par des tournages et des séances photos. Cela permet parfois de faire apparaître des espèces nouvelles, inconnues aupravant, des comportements que l’on avait jamais observé aussi. Le plancton est notre spécialité depuis plus de 10 ans maintenant. Nos compétences en prises de vue nous permettent de participer a des missions scientifiques diverses, d’une part pour documenter ces expéditions, et d’autre part pour filmer et photographier les organismes collectés par les chercheurs. Cela a été le cas en Antarctique et en Arctique où nous avons embarqués avec nos caméras sur les brise-glace Akademik Treshnikov et Amundsen dans le cadre des projets ACE (en 2017) et Green Edge (en 2016). Cette campagne océanographique en Arctique fût initié par Takuvik une unité mixte de recherche regroupant le CNRS (FR) et l’Université Laval (QC). Dans le film Arctic Bloom nous décrivons cette aventure scientifique et le formidable bloom de phytoplancton sous la banquise. Pour compléter, nous avons produit une série éducative en 12 épisodes avec ces institutions. Le défi est d’expliquer à des publics ados l’action des DMS, ces gaz « refroidisseurs » du pôle. La biochimie c’est assez abstrait, l’exercice n’est pas simple pour expliquer la science et l’océanographie en Arctique.

Iodysséus - Pour sensibiliser le plus grand nombre la beauté, voire la poésie, restent selon vous les meilleurs vecteurs. A cet égard, n’y aurait-il pas 100 millions de fois plus de bactéries dans l’Océan que d’étoiles dans l’univers ? Pelagos et cosmos, deux infinis en miroir ?

Noé Sardet –  Oui, le plancton est cosmique ! Cette idée là nous l’avons ressentie, intériorisée et partagée avec François Guinaudeau, un ami réalisateur, dont la passion pour l’astronomie l’a conduit à travailler sur des films pour les planétariums. Nous naviguions sur le fleuve Saint-Laurent sous des aurores boréales à bord d’un voilier-école, l’Ecomaris. La veille les eaux luisaient de plancton bioluminescent. C’est comme ça que nous avons initié Plancton Cosmique, des expéditions à la voile dans le Golfe du Saint-Laurent sur l’Ecomaris, cap sur l’archipel Mingan où vivent toujours les Innus, communautés autochtones, et sur Anticosti, des joyaux de nature dignes du patrimoine de l’Humanité. Nous parlons ici d’expéditions mélangeant art et science, sans agenda serré mais où il s’agit de laisser place à la curiosité, à la poésie. On embarque des experts en biologie marine, des astrophysiciens, des géographes, des marins, des artistes et des astrophotographes. La journée on étudie le plancton et la biodiversité marine. La nuit est consacrée à l’observation d’un ciel dépourvu de pollution lumineuse. L’idée : jeter un pont entre ces deux infinis… 

 

Iodysséus - Vous citez le philosophe Wladimir Jankélévitch : « L'homme est infiniment grand par rapport à l'infiniment petit et infiniment petit par rapport à l'infiniment grand ; ce qui le réduit presque à zéro »… C’est votre philosophie ?

Noé Sardet – En nous plaçant entre ces deux univers, planctonique et cosmique, c’est à une remise en question de notre place dans l’univers que nous aspirons. Nous reprenons aussi les mots d’Einstein : «  La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le côté mystérieux de la vie. C’est le sentiment profond qui se trouve au berceau de l’art et de la science véritable ». En arrière plan, il y a cette autre idée de resssusciter l’atmosphère des expéditions du passé où les intervenants étaient beaucoup plus diversifiés, venaient d’horizons différents, avaient des échanges riches autour de leurs explorations. L’autre objectif c’est de créer du contenu média, des films, des expos photos, de la Réalité Virtuelle comme le film « Voyage au bout de l’Horizon » de François Guinaudeau. En Mars 2019 lors d’une expo à Montréal, nous avons même créé une installation, sous forme de mobile, alliant objets cosmiques et planctons en verre, le concept se manifeste donc dans une œuvre d’art kinétique et fluorescente, qui tourne au dessus du public. Des contes pour enfants ont aussi été extrapolés de cette expédition pilote. En été 2019, Plancton Cosmique s’ouvre au public, a tous ceux qui souhaitent s’inscrire. L’apprentissage de la navigation fait partie du programme conformément à la vocation de l’association Ecomaris qui gère le voilier. Vous êtes bienvenu. Visitez www.planctoncosmique.com et www.ecomaris.org pour plus d’info.

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